Sodfa Daaji est une féministe-abolitionniste tuniso-italienne qui milite en Europe et en Afrique. Elle milite pour les droits des femmes et son activisme se concentre particulièrement sur la façon dont la culture, la tradition et la religion empêchent les droits des femmes de devenir une réalité. Elle est également fondatrice et directrice générale du Groupe de réflexion juridique africain sur les droits des femmes (ALTOWR en anglais) et cheffe de projet pour le manuel.
ALTOWR est un institut juridique continental qui mène des recherches, assure des formations, offre son expertise technique et œuvre à la défense des droits des femmes. Ce groupe de réflexion est dirigé par une équipe de bénévoles et chapeauté par un conseil d'administration dont le rôle est de superviser les aspects liés au leadership, à la responsabilité et à la transparence.
Ce groupe est indépendant du gouvernement, des partis politiques et autres groupes d'intérêt, et sa mission est de mettre à disposition un espace de discussion, dans le but de concevoir et de développer de nouveaux concepts de qualité en menant des recherches juridiques analytiques, constructives et argumentées portant sur des questions sociales, politiques et économiques qui affectent les droits des femmes et des filles en Afrique.
Ce projet se concentre sur l'Afrique du Nord en général, et plus particulièrement sur la Tunisie et l'Algérie. Le titre du projet est « Manuel comparatif sur la pornovengeance en Afrique : Tunisie et Algérie ». Le projet étudie le phénomène de diffusion non consensuelle d'images et de vidéos intimes dans les deux pays en question. Le projet vise à enrichir les connaissances et à présenter des informations sur la violence faite aux femmes et aux filles (VFFF) dans l'espace numérique.
Pour définir la violence faite aux femmes, les membres de ce groupe se réfèrent à la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, qui stipule que
« la violence à l'égard des femmes désigne tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. »
Cinq parties composent ce manuel. La première est l'introduction, qui présente notamment la définition de vengeance pornographique ainsi que l'explication de la notion de consentement et de victim-blaming (culpabilisation de la victime). Cette partie donnant un aperçu d’ensemble est enrichie d'un examen contextuel de l'environnement propice aux droits des femmes dans la région de l'Afrique du Nord. La deuxième partie s’attache à analyser en profondeur le cas de l'Algérie et de la Tunisie en évaluant les similitudes et les différences dans le paysage politique et social de ces deux pays en s’attardant sur le Printemps tunisien de 2011 et le soulèvement du Hirak en cours en Algérie. La troisième partie propose un cadre législatif comparatif des deux pays. Le projet consistait à mener des entretiens et des enquêtes, en plus de la recherche documentaire. L’examen et l’analyse de ces contributions constituent la quatrième partie du manuel. Enfin, le manuel se termine par des recommandations personnalisées et un résumé des principaux points à retenir.
La production du Manuel était l'objectif principal de ce projet, mais deux autres activités ont contribué à son succès : une consultation préalable auprès d’expertes juridiques et un webinaire communautaire. Les consultations auprès d’expertes juridiques ont eu un impact positif sur la production du manuel parce que les idées féministes partagées par les expertes ont permis d’assurer que l'élaboration de ce manuel se faisait dans une optique féministe, et que les VFFF étaient analysées d'un point de vue structurel. Le webinaire a été l'occasion de recueillir des commentaires et des impressions sur les résultats, ainsi que d'évaluer comment la distribution d'images intimes non consensuelles était perçue par le grand public, ainsi que de répondre à toutes les questions du public. Ces échanges ont ouvert la possibilité de passer l’étude au niveau supérieur en menant une analyse approfondie des images et des vidéos intimes de diffusion non consensuelle dans d'autres pays de la région.
57 représentant·e·s de la société civile, 33 femmes et 24 hommes ont été contacté·e·s pour la production de ce manuel.
De grands progrès ont été faits pour lutter contre la VFFF, mais le groupe de réflexion tient à souligner que ces progrès sont rarement documentés et qu’ils ne sont pas relayés. Cette situation est également aggravée par la perception sociale et culturelle des VFFF, qui est souvent rejetée et méconnue. Parmi les normes sociales néfastes qui font le lit de la violence basée sur le genre, on retrouve, entre autres, la pureté sexuelle des femmes, faire passer la sauvegarde de l'honneur de la famille avant la sécurité des femmes, ainsi que l'autorité des hommes à discipliner les femmes et les enfants. Au fil du temps, certaines de ces normes sociales néfastes ont été éradiquées grâce au travail et aux efforts continus des organisations de défense des droits des femmes et des féministes ; cependant, dans d'autres cas, ces normes et croyances personnelles alimentent actuellement un contrecoup sur les droits des femmes qui entraîne des répercussions sur la perception globale et la tolérance de la violence basée sur le genre, ainsi que la violence sexuelle.
Le contexte en Afrique du Nord est intéressant à analyser, car il est complexe et riche en contradictions, et bien que la région ait connu des avancées remarquables, notamment à la suite du soulèvement du « Printemps arabe », elle peine à maintenir la stabilité. Les conséquences négatives de la dynamique sociale et politique se répercutent de manière déraisonnable sur les femmes et les filles.
Ce manuel est open source et peut être utilisé, reproduit, lu et modifié par des organisations et des collectifs de la société civile, en y ajoutant des données, en menant des recherches plus approfondies aux niveaux régional, national et même local dans le but d’enrichir la documentation existante sur un sujet qui s'appuie actuellement sur très peu de ressources.
«Ce projet nous a obligées à évaluer nos compétences et à renforcer notre mission et notre vision à la suite des conclusions et des échanges que nous avons eus avec des femmes et des mouvements féministes. Nous sommes profondément reconnaissant·e·s envers l'Association pour le progrès des communications d'avoir cru au potentiel de ce manuel et de nous avoir donné l'opportunité d'explorer un sujet qui mérite d’être davantage connu et étudié ».
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