Même les machines rêvent : des robotes féministes sur Twitter

Auteur

Florencia Goldsman
Publié le : 15 November 2019

Au premier Cercle d’apprentissage féministe de Réapproprie-toi la technologie !, on a pris le temps d’expérimenter ensemble certains outils. On a travaillé dur pour observer, imaginer et créer des robotes qui envahissent Twitter avec nos modes d’expression, nos voix et nos propres couleurs. Nous partageons dans cet article les différentes étapes qui nous ont permis d’apprendre à programmer des robotes sur Twitter dans le but de construire un internet féministe et de dé-construire (ou d’exploiter à notre profit) le patriarcat.

Il est de plus en plus difficile de savoir si nos interactions se font avec des humains, des robots ou des animaux, que ce soit dans les réseaux virtuels ou dans notre vie hors internet. Même si Facebook et sa politique autoritaire du nom réel nous oblige à fournir de nombreuses informations intimes pour ses registres, au point de nous donner l’illusion d’ouvrir la porte de notre maison à des inconnu·e·s et de les inviter d’une certaine manière à fouiller dans nos tiroirs, aujourd’hui l’internet (et notamment Twitter) nous surprend avec des êtres dont la conduite s’avère étonnante. Nous vivons désormais avec des entités au cœur numérique.

Pour comprendre qui sont ces êtres émergents et suivre le fil de ce que nous vivons actuellement, il faut penser aux différentes définitions de bots, trolls et robotes féministes. Nous nous pencherons ici sur le cas des (ro)bot·e·s, les figures centrales du premier Cercle d’apprentissage féministe de Réapproprie-toi la technologie ! de juillet 2019. Ces espaces, réalisés sous forme de webinaires en temps réel, sont des moments d’apprentissage et d’expérimentation axés sur une approche ludique de l’internet et de ses possibilités pour l’activisme ; ils s’adressent à toutes les personnes qui collaborent directement ou indirectement avec la mission de la campagne.

Pour Steffania Paola, notre animatrice – activiste féministe brésilienne, développeuse web, designer et artiste visuelle, membre du collectif acoso.online, cofondatrice du serveur féministe clandestina.io, membre du réseau ciberseguras.org et l’une des éditrices de la publication d’art contemporain teteia.org – il est important de faire la différence entre les diverses natures des êtres qui peuplent l’internet. Comme elle l’a indiqué lors du Cercle, il existe de nombreuses manières d’utiliser des bots qui, en plus d’exprimer ce pour quoi ses créatrices les ont programmé, servent également à l’expression artistique. Leur caractère est complexe, loin de celui des binaires.

Steffania nous invite à utiliser le côté ludique de ces outils : nous amuser, créer des robotes, mais pas uniquement pour répondre à l’attaque d’un troll ou d’autres stimulus externes. Créer des robotes performatives, disruptives et, pourquoi pas, des robotes qui ne répondent à aucune fonction spécifique. C’est dans cette idée que le premier Cercle d’apprentissage féministe a été créé, organisé par Réapproprie-toi la technologie ! avec le soutien d’Oxfam.

Avant de raconter comment s’est passé l’atelier en ligne, il est important de mieux connaître les caractéristiques de ces êtres qui peuplent l’internet. On sait qu’aujourd’hui, la notion de (ro)bot n’a pas nécessairement une connotation négative. Voyons en gros de quoi il s’agit :

Un bot (diminutif de « robot ») est un logiciel qui exécute une tâche automatisée en ligne, bien plus rapidement que les personnes. Il existe différents types de bots. Par exemple, les spambots servent à recompiler des adresses de courrier électronique et des informations sur les contacts en ligne. La section anglaise de Wikipedia indique la présence de 1800 bots « approuvés » qui aident à semi-automatiser l’édition de routine de ses pages. Les attaques par dénégation de service (DDoS) dont le but est d’empêcher l’accès à un site web ou une plateforme pour une période de temps donnée sont un autre exemple de ce que les bots sont capables de faire. Grâce à un botnet, une personne ou une organisation contrôlant un tel ensemble de bots peut exécuter dans des milliers d’ordinateurs répartis dans le monde entier une attaque DDoS dirigée vers une page déterminée pour en empêcher le fonctionnement. (MANUAL ZEN AND THE ART OF MAKING TECH WORK FOR YOU, 2016, n.p, en ligne).

Les bots sont capables de publier du contenu, de recueillir des informations, et de « cliquer » sur différents objets numériques. Actuellement Twitter est l’une des plateformes privilégiées pour les bots qui utilisent des algorithmes pour recueillir des informations et envoyer des tweets. De nombreux comptes de Twitter sont humoristiques et créatifs, mais il y en a aussi qui ont été créés pour participer à des campagnes numériques de personnalités politiques du monde entier ou réaliser des actions malveillantes de boycottage.

Certains robots servent à rechercher les incongruités sur Wikipedia. D’autres répondent aux questions réitératives sur les sites de consultation pour des billets d’avion. Les robots internes de Twitter fonctionnent selon des algorithmes qui détectent les hashtag qui se répètent massivement et le placent dans la liste des Trending Topics (ou tendances).

La robote hispanophone de la campagne Réapproprie-toi la technologie ! par exemple, twitte des « Bonne journée pour » qui critiquent simultanément les plateformes commerciales de l’internet en Amérique latine dans des espaces comme l’université, les territoires dépossédés, les espaces culturels transhackféministes,  entre autres. Le public n’y est pas indifférent, et y répond par des « j’aime » ou les retwitte. Cette robote n’est pas seule, elle fait partie d’une petite armée de robotes rebelles créées pour déstabiliser avec humour et ironie les réseaux sociaux que nous utilisons quotidiennement.

Une âme de robote

L’internet continue d’être, malgré son côté hyper commercial, un espace de jeu, d’expérimentation et d’apprentissage. C’est dans cet espace ouvert que sont apparues les robotes, pour expérimenter avec les technologies. Lorsqu’on partage les possibilités de création, ce qui est encore possible quand on se rencontre, on questionne le réseau tel qu’il est et on se met en quatre pour apporter nos idées, nos sentiments et nos envies de faire quelque chose. Voilà pourquoi cette série de rencontres en ligne, ouvertes, gratuites et libres a été créée, pour que les cyberféministes de toute la région et des pays voisins puissent y participer, créer, interagir et mettre en action les connaissances qui permettent d’occuper le web de manière créative.

Steffania Paola, qui nous a guidé dans les premières étapes du premier Cercle de confiance féministe de Réapproprie-toi la technologie ! et a animé l’atelier intitulé « Même les machines rêvent. Des robotes féministes sur Twitter ». Elle a débuté son atelier virtuel en rappelant la confusion qui entoure toujours les bots et les trolls ou « machitrolls » quand elle fait cette présentation, malgré leur différence comme on l’a vu plus haut : (en général) le terme troll désigne quelqu’un qui passe son temps à harceler, critiquer sur l’internet, faire des commentaires négatifs. Il se peut que le troll soit un bot, mais cela ne signifie pas pour autant que tous les bots soient des trolls.

Lors du Cercle, on a réfléchi à diverses possibilités de robotes pour un internet féministe. Créées avec du matériel de cet atelier mais au cours d’expériences antérieures dans d’autres pays, nous avons vu le cas de Bototadice créée au Paraguay et définie selon ses programmeuses comme « une veuve féministe agressive heureuse ». Steffania Paola a indiqué que les personnes qui l’ont créée ont également pensé à lui mettre une photo de profil et une photo de couverture. « La règle d’or est de réfléchir avant de faire fonctionner la robote, à ce que va dire la dame et avec quelle fréquence elle va publier de nouveaux messages sur Twitter ».

D’autres exemples de robotes, comme celui qui suit, mélangent les tweets d’une personne réelle avec ceux de la robote sur un profil d’activiste :
https://twitter.com/LACHAKALARIXXO

Ce compte nous invite quant à lui à aborder certains sujets sous des angles différents (avec beaucoup d’ironie bien entendu)
https://twitter.com/yuyerasfem

À partir des différents exemples proposés, de l’inspiration du moment et des idées que les participantes avaient en tête depuis longtemps, on s’est donné le luxe de prendre le temps de créer, d’essayer, de découvrir les erreurs et de recommencer. Le processus d’essais et d’erreurs s’est avéré indispensable pour pouvoir avancer en tant que mouvements et que personnes.

Pour mieux savoir comment programmer étape par étape nos robotes, le plus pratique est de regarder la vidéo amusante que Luchadoras a réalisée (voir ICI, en espagnol) conçue selon le scénario que Steffania Paola utilise pour ses ateliers.

Le profil de Github de notre animatrice est également un excellent lieu de documentation sur le processus (en espagnol).

Donner naissance à des robotes pour colorer l’internet

Aujourd’hui, après le premier espace d’apprentissage libre et féministe impulsé par Réapproprie-toi la technologie !, on a donc un nouveau groupe de robotes qui inonde le web de messages célébrant le travail et l’organisation féministe. Il y en a d’autres qui dénoncent les antidroits ou dérangent par leur humour et leur ironie le torrent intarissable des messages de Twitter.

Il faut aussi parler des doutes qui sont apparus au moment d’écrire les scénarios des robotes, des doutes que tu peux toi aussi avoir en lisant ce texte. Sur ce lien (en espagnol) tu trouveras les réponses aux questions fréquentes, un modèle de scénario à copier, coller et modifier, et un modèle de scénario permettant d’utiliser la HT et de participer à d’autres conversations sur Twitter.

Avec cette nouvelle perspective de robotes qui rêvent, on retrouve l’organisation féministe mexicaine Cidhal qui célèbre les programmes radio féministes dans le monde ou commémore les actions politiques publiques axées sur le genre de l’État. Quant à la robote de Marcha Noticias, elle invite à partager des points de vue de journalistes féministes, et à connaître les médias autogérés. Pony feminacida se déclare quant à elle cyborg, rurale et pour l’avortement, et propose d’avorter la fraude hétérosexuelle en faisant éclater de rire ses amies ou raconte son « envie furieuse de faire fuir le machitroll à l’école ». Sur son profil, Femina_tic nous aide à savoir que comme avec la première vague des cyberféministes, le cyberféminisme n’est ni une cyberépilation ni quelque chose de romantique et encore moins « une fenêtre fermée ».

Voilà comment nous collaborons pour apporter de nouveaux points de vue, des actions, et renforcer ou découvrir des habiletés techniques permettant d’utiliser l’internet et de propager des récits axés sur un monde sans violence envers les femmes et les communautés LGBTIQ+. Les Cercles d’apprentissage féministe de Réapproprie-toi la technologie ! continueront à offrir un espace d’échange, de création et de nouvelles façons d’occuper l’internet et de démanteler ainsi le patriarcat.



Tu peux regarder la vidéo ainsi que les notes (les deux en espagnol) de ce cercle d'apprentissage féministe.