Notes pour un internet plus inclusif : le texte alternatif comme un poème

Auteur

Florencia Goldsman
Publié le : 2 December 2022
 

Dédié à la création d’infrastructures féministes, le collectif féministe Numun Fund a appuyé l’organisation de l’atelier « Têtes parlantes : Traduire des images en mots de façon créative pour un internet féministe ». L’activité se voulait un espace d’exploration féministe visant à rendre l’internet plus inclusif et adapté aux besoins des personnes aveugles. Dans cet article, nous résumons les principales leçons tirées de ces rencontres.

L’atelier « Têtes parlantes » était inspiré du manuel « Alt-Text as Poetry » (Le texte alternatif comme un poème). Corédigé par les artistes handicapé·es Bojana Coklyat et Shannon Finnegan, ce manuel fait jaillir des élans poétiques dans l’écriture des descriptions d’images en ligne afin de rendre l’internet plus inclusif. Pour que ces descriptions ne se limitent pas qu’à de brèves remarques, mais qu’elles contribuent plutôt à améliorer l’accessibilité, la perception et les sensations des personnes malvoyantes ou non voyantes qui utilisent des lecteurs d’écran automatisés pour naviguer sur internet.

Coklyat et Finnegan nous invitent à jouer avec la langue tout en respectant un certain nombre de caractères et le rôle informatif du texte alternatif.

Prenons par exemple la description qui pourrait accompagner l’image d’un simple potager.

Le texte alternatif pourrait être rédigé de deux façons pour décrire le même espace :

  1. Un potager, avec un arbre au centre et des plantes tout autour.
  2. Un espace vert avec différents types de vignes et de plantes. Au centre se trouvent un vieux noyer et une clôture d’où pendent des branches et des feuilles entremêlées de fruits de la passion.

C’est dans cet esprit que nous avons entamé notre atelier. Avec la coanimatrice Lorena Roffé (membre de Red Ma(g)dalena Internacional - Teatro de las Oprimidas et formatrice au sein du collectif Mujeres con Capacidad de Soñar a Colores au Guatemala), nous avons conçu un atelier centré sur le jeu, la poésie et la participation des personnes ayant un handicap visuel.

Pour ce faire, nous avons rencontré 3 personnes aveugles et/ou malvoyantes afin qu’elles puissent nous conseiller et nous guider pendant les ateliers. Nous voulions connaître les problèmes qu’elles rencontrent au quotidien sur internet. Un espace qui, jusqu’à présent, n’est pas conçu pour inclure tout le monde, malgré le fait qu’internet soit de plus en plus indispensable pour exercer ses droits fondamentaux.

À partir de nos conversations et de nos échanges, nous avons défini quelques critères pour travailler sur un ensemble d’images diversifié. Certaines provenaient des participant·es, et les autres, nous les avions sélectionnées sur le web et téléchargées à partir de médias féministes ou d’organisations féministes et transféministes.

Une dizaine de personnes de différents pays d’Amérique latine se sont inscrites avec empressement et ont participé à l’activité. Elles se sentaient interpellées et enthousiastes à l’idée de soutenir la création d’espaces (en ligne et hors ligne) plus inclusifs et accessibles, grâce aux arts, au graphisme, aux communications et technologies communautaires.

C’était la première fois que nous nous réunissions en ligne, sans utiliser nos caméras et sans présentation PowerPoint (nous avions seulement les images sélectionnées pour les exercices). Pour commencer notre exploration, nous avons déterminé certains points pertinents avec nos guides (deux personnes qui s’identifient comme femmes et un homme LGBT), ce qui nous a servi de cadre de référence basé sur leurs propres préoccupations et besoins.

  1. Il est plus pertinent de décrire ce que fait une personne, ses gestes, que son apparence physique.
  2. Il est intéressant de décrire les expressions ou les émotions, par exemple : la personne est souriante, elle est triste, ou elle est apathique.
  3. Objectivité/subjectivité : la description d’une image est un processus forcément subjectif - en écrivant, on utilise nos propres façons de voir et de comprendre. Cependant, une description doit viser à fournir une compréhension claire de l’image pour un public cible.
    (Source : le manuel « Alt Text as Poetry ».)

Un aperçu de nos conclusions

Les deux séances de l’atelier ont mis l’accent sur l’idée qu’il est extrêmement important que les personnes en situation de handicap soient présentes et participent aux réflexions sur l’accessibilité.

De nos réflexions collectives, il en est ressorti que les personnes ayant un handicap visuel préfèrent une « maigre » description à une absence totale de description.

De ces ateliers, nous avons également retenu un précieux conseil pour la description d’images : celui d’inclure des éléments liés à d’autres sens que la vue. Pour un public malvoyant, il est plus efficace de décrire une personne « allongée sur un lit de feuilles sèches et craquantes » que « sur un lit de feuilles jaunes et oranges ». Ou encore, il est mieux d’écrire « un nuage de smog sentant la pollution couvrant le ciel » que « un nuage gris qui couvre le ciel ».

L’un·e de nos guides faisait remarquer que « les odeurs, les émotions, les couleurs permettent d’enrichir les descriptions ». Par ailleurs, nous avions l’intention d’écouter les descriptions à l’aide d’un lecteur d’écran, mais nous avons manqué de temps pour cette activité. Nous voulions voir à quoi ressemblaient ces voix robotisées à l’accent européen, une sorte de « béquilles » pas très confortables pour aider à naviguer sur internet tous les jours.

Voici donc quelques idées principales qui peuvent nous aider à décrire plus précisément les images :

  • Spécifier le type d’image : caricature, illustration, dessin, etc.
  • Spécifier s’il y a des hommes, des femmes ou d’autres caractéristiques (identité de genre, race) qui sont pertinentes pour l’image, bien que nous puissions souvent commettre des erreurs (à défaut de connaître les personnes et leur propre identité)
  • Il est plus pertinent de décrire ce que fait une personne, ses gestes, que son apparence physique. Il est intéressant de décrire les expressions ou les émotions, par exemple : la personne est souriante, elle est triste, ou elle est grognonne.
  • Il est aussi important d’écrire le texte qui apparaît dans l’image : dialogues dans une bulle de BD, titres, références, etc.
  • Plus nous connaissons le contexte, plus nous connaissons les détails de l’image et mieux nous sommes en mesure de la décrire.
  • Il convient de garder à l’esprit que les jugements de valeur sont souvent inutiles.
  • Nos guides ont indiqué que, la plupart du temps, les lecteurs d’écran sont capables d’afficher les noms des auteurs ou autrices mais, s’il n’y a pas de texte alternatif qui l’indique, les lecteurs d’écran ne peuvent pas obtenir cette information qui n’est généralement pas liée au texte/article.

La description d’images est politique

Enfin, nous croyons en la pertinence de développer ces espaces exploratoires, ludiques et créatifs, car beaucoup ont des doutes sur la façon de décrire « correctement » des images. Le jeu nous libère de tout jugement et nous aide à devenir « ami·es » avec les « erreurs » ou les « fautes » que nous faisons lorsque nous essayons de décrire avec justesse une image en particulier. C’est pourquoi, au lieu de suivre une recette, nous avons préféré partager avec vous quelques trucs et conseils que notre comité de guides considérait comme prioritaires selon leurs besoins.

À propos de l’importance de la description des images, voici ce que nous a confié l’un·e de nos guides : « Toute cette technologie, c’est nouveau pour moi. Je me perds dans le flot de divertissements et d’informations. Les descriptions aident mon esprit à voyager et m’aident à visualiser dans mon cerveau ». Pour un·e autre guide, ce type d’atelier est précieux, car « c’est une occasion d’avoir le même accès à l’information que les personnes malvoyantes. Si l’image est là, c’est important, non ? Je pense que la meilleure personne pour décrire une image est celle qui la choisit et la place à un certain endroit. Si elle complète le texte, nous devons y avoir accès ». Enfin, l’autre guide a souligné que « nous avons besoin du message que l’image transmet, en gardant à l’esprit que ce que nous pensons de l’image nous appartient. »

L’activité nous a donné la satisfaction d’être des explorateurs et exploratrices dynamiques avec la ferme volonté de rendre les espaces plus accessibles : que ce soit l’internet, les rues ou nos rencontres. La possibilité de le faire en jouant nous a permis de nous réconcilier avec nos doutes et nos hésitations, par exemple : comment aborder des questions identitaires essentielles lorsque nous décrivons des personnes (que nous ne connaissons pas personnellement) dans une image (leur identité de genre, leur âge, si elles sont des personnes racisées, etc.).

Lors de ces ateliers, nous avons été amené·es à faire des exercices de discussion et d’écriture axés sur les différentes perceptions sensorielles (ouïe, goût, odeur, textures). Et nous avons aussi appris à « situer les descriptions », c’est-à-dire à retracer le contexte et la situation politique des personnes qui synthétisent les informations visuelles de manière créative (lorsqu’elles abordent certains aspects et en laissent d’autres de côté, par exemple). Cette expérience nous a rappelé une fois de plus, comme le journalisme nous l’enseigne, que dans chaque image ou récit, il y a toujours quelque chose qui est laissé de côté et que derrière ces omissions, il y a toujours des décisions politiques.


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Voici quelques exemples d’images accompagnées des textes alternatifs proposés par des participant·es à l’atelier. Des descriptions qui peuvent être améliorées ou ajustées au fur et à mesure que nous continuons à travailler sur ces initiatives.

Image 1 (Source : Píkara Magazine)
« Un dessin de style bande dessinée, un couple sur un lit rose. Une femme à la peau foncée, un homme blanc. Elle remercie l’homme pour la journée romantique, il lui répond que maintenant elle doit nettoyer les pétales de rose qu’il a mis partout dans la maison, et qu’elle doit préparer le petit déjeuner ».
Un dibujo de estilo caricatura, una pareja en una cama rosa. Una mujer de piel oscura, un hombre blanco. Ella reconciente de la noche romántica, él respondiendo que ahora ella tiene que limpiar las pétalos de rosa que el a puesto por toda la casa, y preparar el desayuno

Image 2 (Source : Visibles. GT)
« 9 culottes appartenant à des personnes ayant leurs règles. Disposées 3 par 3 dans une grille. Les culottes sont tachées, peut-être que leurs propriétaires n’ont pas changé leur coupe menstruelle à temps, que le flux menstruel a surchargé leur serviette hygiénique en tissu, ou peut-être qu’iels avaient simplement utilisé leur culotte ordinaire. Le sang semble rouge foncé sur toutes les culottes, ce qui est étrange, car d’habitude le sang varie beaucoup dans ses teintes rougeâtres. Cette teinte foncée est peut-être due au fait qu’il s’agit du premier jour du cycle menstruel ou que la culotte est tachée depuis quelques heures. Il y a beaucoup de culottes avec du sang, il y a sûrement une odeur, bien qu’elle ne soit pas forcément mauvaise. »
9 calzones de personas menstruantes. Organizados de 3 en 3 formando una cuadrícula. Los calzones están manchados de sangre de la regla.

Image 3 (Source : Campagne en Amérique latine TakeBackTheTech)
« Trois femmes dans un plan d’ensemble pointent du doigt vers l’avant, au-dessus de leur tête il est écrit « Celui qui m’exclut, c’est toi ». Ce sont trois femmes très différentes : l’une est en bikini, elle a de larges hanches, un ventre prononcé et des cheveux violets; la femme du milieu est mince et noire avec les cheveux frisés; la dernière est en fauteuil roulant, elle est blonde avec des cheveux longs. Toutes trois ont une expression sérieuse. L’image est un dessin aux couleurs pastel. »


Tres mujeres de cuerpo entero señalando hacia adelante con el dedo, arriba de sus cabezas esta escrito "El que me excluye eres tu" Son tres mujeres muy diferentes entre si