Analyse de conversations en période de discours de haine

Auteur

Infoactivismo
Publié le : 21 November 2019

Nous avons déjà parlé des étapes à suivre selon nous pour combattre la haine et la discrimination en ligne, mais nous voulons maintenant approfondir une thématique : l’analyse d’une conversation

Dans l’idéal, une telle analyse aura lieu avant toute action communicative. Ce n’est pas toujours le cas dans la pratique, puisqu’il nous arrive souvent de trouver des campagnes où, non content·e·s de répéter les mêmes messages de toujours, on n’écoute même plus les pensées et les sentiments de son public sur certains thèmes. Voilà pourquoi avant toute chose, il faut passer par l’étape zéro :

0. Écouter avant de parler

Pour qu’une campagne soit efficace, il est essentiel de faire un suivi, de même qu’une analyse de la conversation ; c’est en effet ce qui nous permettra ensuite de comprendre la dynamique générale de la conversation, et de situer clairement les différents éléments, caractéristiques et ressources discursives à la base de tout type d’intervention. Nous nous intéresserons ici à la manière d’analyser les conversations de la plateforme Twitter.

Celle-ci donne de nombreuses possibilités, mais présente aussi de grands défis. Le premier consiste à comprendre que tout le monde n’a pas forcément envie de parler de la même chose que nous et qu’une conversation, ce n’est pas seulement parler mais aussi écouter. Ceci étant dit, entrons dans le vif du sujet.

1. Comment débuter dans l’analyse de Twitter

Pour commencer à élaborer une analyse, nous te proposons tout d’abord quelques définitions de concepts nécessaires pour comprendre ce que nous tentons d’analyser.

Concepts essentiels pour comprendre Twitter

Conversation : La conversation sur Twitter peut être comprise comme un ensemble de messages, de points de vue, de récits entre différents comptes (qui ne sont pas forcément des personnes en tant que telles) sur un sujet en particulier. Sur Twitter, ce qui nous permet de savoir de quoi on parle, ce sont les hashtags ou les mots clé.

Étiquettes ou mots clé : Les étiquettes (hashtags) ne sont pas exactement la même chose que les mots clé, mais ils sont liés dans la mesure où il s’agit des mots que l’algorithme de Twitter peut convertir en Tendances, s’il trouve un nombre croissant de personnes qui l’utilisent pour converser. Dans les deux cas, ce sont des mots qui servent d’éléments structurants dans une conversation et qui nous aident à comprendre le sujet commun des conversations. Avant, l’unique manière de faire des Tendances ou des Sujets Populaires consistait à les associer à des étiquettes (hashtag ou HT) avec le caractère #, tandis qu’aujourd’hui l’algorithme permet qu’un mot ou plus deviennent directement des tendances. Quelle que soit la méthode, il faut se souvenir que le hashtag ou les mots clé d’une conversation sont apparentés à d’autres, ce qui donne lieu à une espèce de famille de conversations.

Tendances ou Sujets Populaires : Il s’agit-là probablement de la fonction la plus caractéristique de la plateforme Twitter. Si tu veux savoir de quoi parlent les gens à un lieu et un moment donnés, il suffit de regarder la liste de termes que la plateforme considère comme Tendances (Sujets Populaires ou TrendingTopics, TT), ce qui facilite largement la participation à des conversations, puisque tu sauras quel sujet intéresse les gens à un moment donné.

Communautés : À la différence d’autres plateformes où il est possible de créer des groupes plus ou moins définis autour d’intérêts communs, sur Twitter les communautés sont structurées à partir des mots qu’on utilise sur la plateforme, lorsqu’on envoie un tweet mais aussi quand on crée notre biographie pour se décrire. Tout comme sur d’autres plateformes, notre page d’accueil est personnalisée et déterminée selon les comptes qu’on choisit de suivre.

Leaders d’opinion ou influenceurs·euses : S’il est vrai que Twitter est une plateforme relativement horizontale et démocratique, sa conception n’élimine pas certaines dynamiques sociales du monde offline. Les comptes des personnalités politiques, journalistes, professionnel·le·s des médias, artistes et autres « célébrités » en dehors de la plateforme attirent souvent bien plus l’attention que la plupart des comptes personnels. Il arrive la même chose avec les organisations (ne pas oublier que sur Twitter il n’y a pas que des personnes).

En théorie, nous pouvons toutes et tous participer aux événements à niveau égal lorsque nous ouvrons notre compte sur Twitter, mais dans la pratique les dynamiques dans et hors la plateforme font que certaines personnes ou organisations se distinguent des autres, que ce soit pour le nombre de personnes qui les suivent ou parce qu’on leur a attribué le badge de compte certifié (pour éviter de les confondre avec des faux comptes). On peut dire que sur Twitter, tout le monde a la même chance de pouvoir parler, mais tout le monde ne sera pas écouté·e de la même manière.

Quelques éléments clé dans une conversation

Comme on l’a déjà mentionné, il y a certains éléments qui permettent d’analyser une conversation. En voici quelques-uns :

Volume de la conversation : C’est le nombre total de tweets qui comportent une étiquette en particulier ou un ou plusieurs mots clé. Quand une conversation devient une Tendance, Twitter donne une estimation du nombre de tweets publiés récemment sur ce thème, qui peut varier de quelques milliers (3-4K) à plusieurs centaines de milliers (300K). Être tendance ne signifie pas forcément avoir un grand volume de conversation.

Si la conversation qui t’intéresse n’apparaît pas dans les Sujets Populaires il est un peu plus difficile d’avoir une estimation du nombre de tweets publiés, mais ce n’est pas impossible (voir la section outils ci-dessous).

Profil des participant·e·s : À partir du moment où on entre dans une conversation, on peut explorer les profils des autres personnes qui y participent, voir leurs noms d’utilisateur, lire leurs biographies, voir ce qu’ils ou elles tweetent. La meilleure compréhension des comptes participants nous permet d’en savoir plus sur la dynamique générale de la conversation.

Leaders d’opinion : Ce sont les comptes dont les tweets ont le plus d’interactions dans une conversation donnée, ce qui permet de penser que ce sont les points de vue prédominants de la conversation.

Hits ou conjonctures : Puisque Twitter est un réseau dans lequel on publie et on lit les informations de manière très brève et rapide, il faut se rappeler que comprendre le moment est essentiel. Les Tendances ne doivent pas seulement leur existence au fait que beaucoup de gens parlent de la même chose, mais au fait que beaucoup de gens parlent de la même chose pratiquement en même temps. Il faut donc tenir compte du fait qu’une conversation entre toujours dans un cadre temporel, et que si on la délimite dans le temps on peut mieux comprendre à quel moment elle est passée de conversation inexistante ou marginale à une conversation populaire ou même une Tendance. En bref, pour pouvoir analyser une conversation il ne suffit pas de tenir compte du volume ou des comptes leaders de la conversation, il faut également observer l’intervalle de temps dans lequel cette conversation a lieu.

2. Principes d’analyse des conversations : planification ou réaction

Même s’il existe sans aucun doute d’autres approches possibles envers une conversation, nous proposons ici une classification simple comportant deux possibilités : 1) une conversation est fondamentalement planifiée, ou 2) une conversation est principalement organique.

Conversation planifiée à partir d’un fil d’actualité

Définir des lignes thématiques et les HT en lien avec elles. Dans ce cas le défi consiste à identifier ce que tu veux obtenir de cette conversation avant de la commencer.

Supposons que tu veuilles attirer l’attention sur un thème plus ou moins spécialisé et élargir la conversation à des personnes qui n’y sont pas vraiment impliquées mais qui pourraient s’y intéresser. La question est donc de trouver une manière d’amplifier cette conversation et de la rendre accessible à de nouvelles personnes. Nous te proposons ici un exemple de ce type d’intervention : Faire un Twitter chat (en espagnol) ou ce billet en français.


Twitterchat sur la sécurité sur l’internet

Il est également possible de prévoir une intervention dans un fil d’actualité, pour étudier plus en profondeur un sujet qui ne serait pas suffisamment clair et où il manquerait souvent des informations. Pour donner un exemple clair de ce type de conversation planifiée, on pourra se référer à #WikipediaEnDebate, et notamment au fil d’actualité sur l’avortement légal en Argentine. En gros, la conversation couvrait le débat législatif du Sénat argentin, en y apportant en plus des articles de la Wikipédia pour que les gens sur Twitter connaissent mieux les concepts et les lois dont le Sénat débattait.

Conversation réactive à partir d’une Tendance ou d’une conversation préexistante

L’autre type de conversation qu’on peut imaginer est celle où des personnes et organisations décident de participer à un hashtag ou mot clé qui leur donne envie de participer. Dans ce cas les complications proviennent du fait que la conversation soit déjà en cours.

Pour analyser ce type de conversation, en plus d’identifier les éléments de la conversation, ce dont il est question dans la section précédente, il convient également d’analyser ce qui n’a pas encore été dit, quels doutes peuvent subsister, ce qu’il est intéressant de remettre en doute ou ce qui invite à plus de réflexion, etc. Il est également important d’identifier le ton général de la conversation et les émotions présentes : la colère, l’indignation, l’ironie, le rire, l’enthousiasme.

Certaines conversations spontanées comme #RopaSucia (2015), #YoDenunciéY (2016), #SiMeMatan (2017), #MeTooMx (2018), consistent surtout à donner de la visibilité à des témoignages personnels ou de proches sur des expériences spécifiques. #RopaSucia [2015]; #MiPrimerAcoso, #YoDenunciéY [2016]; #SiMeMatan [2017] et plus récemment #MeToo, #MeTooMx, #MeTooEscritoresMexicanos, #MeTooMusicosMexicanos, ou encore #MeTooPeriodistasMexicanos.

On peut remarquer que l’élément en commun dans tous ces exemples est le fait de partager des témoignages d’actes de violence de genre, et même si les tons des conversations peuvent varier considérablement, toutes présentent un élément plus ou moins évident consistant à dénoncer.

Évidemment, le ton n’est pas toujours d’indignation, de dénonciation ou de colère. Nous avons récemment parlé du cas de #MexicoEsProPambazos dans le billet Cómo darle la vuelta a un hashtag antiderechos,dans lequel nous analysons les tweets les plus intéressants pour rechercher les leaders de conversation (ce qui nous a permis de découvrir comment le sens du hashtag original avait été modifié, avec quel ton et quel type de messages). Nous en avons d’ailleurs aussi profité pour signaler quelques mauvaises pratiques de communication dans la cause « en faveur de la vie », en espérant que les causes en faveur des droits humains évitent de commettre ce type d’erreurs.


Comment modifier un hashtag antidroits: ce qu’on a appris de #MéxicoEsProvida (en espagnol)

3. Quelques outils à essayer pour effectuer une analyse

Avant de continuer à approfondir la question de l’analyse préalable à une intervention dans les conversations (attends notre prochain billet avec nos recommandations sur les manières d’intervenir dans une conversation après avoir réalisé l’analyse), voici une petite liste d’outils à laquelle tu peux jeter un œil pour étudier en long et en large l’analyse de la conversation sur Twitter :

TweetDeck

Cet outil ne sert pas uniquement à programmer la publication de contenus ; il t’aidera aussi à faire le suivi des conversations et à appliquer différents filtres pour localiser les tweets ayant le plus d’interactions, suivre des profils ou des conversations spécifiques, ou pouvoir utiliser des options de recherche avancée. Pour ce dernier, clique sur Recherche avancée>Filtres de recherche et une liste très utile d’options de recherche sur Twitter s’ouvrira :



Hashtagify


Hashtagify est un outil de veille permettant de trouver les nuages de hashtags associés, ce qui est essentiel si tu souhaites trouver une famille de conversations.



Il existe d’autres outils similaires, notamment Followerwonk (pour cet outil nous avons un petit guide pour analyser ton public), Hashtracking, Followthehashtag, , qui exigent de s’enregistrer et offrent certaines fonctions gratuitement.

Outils hors Twitter
 
  • Google Trends: pour localiser les hits ou les pics de conversation dans le temps.
  • Media Cloud pour faire le suivi de la couverture médiatique d’un sujet.
  • Alertes de Google: pour être alerté·e aussitôt de ce qui se passe dans une conversation qui t’intéresse.
  • Integromat: Une alternative à IFTTT (qui ne fonctionne plus depuis un certain temps) qui récupère et stocke automatiquement une conversation en connectant le service de Twitter avec Google Spreadsheet.

Merci à Infoactivismo pour cet article. Vous pouvez consulter la version originale sur leur site web.