Kickoff: Repenser et documenter les cyberviolences sexistes en Gambie
Graphique créé par Ousainou Jonga, copyright Equals Now.
Equals Now est la première organisation en Gambie à mettre en œuvre un projet axé sur la cyberviolence basée sur le genre et à lancer un débat national à ce sujet. Cette forme de cyberviolence, en particulier en Gambie, cible les féministes et les militantes qui utilisent internet pour œuvrer en faveur d’un meilleur pays pour les femmes. Après avoir déterminé que cet aspect important des violences basées sur le genre avait été mis à l’écart des politiques nationales et des débats, Equals Now a choisi de le mettre en avant avec son projet Kickoff. Ce travail a permis à l’organisation féministe de s’immerger et de s’emparer d’un sujet qui est rarement traité dans le contexte gambien et de permettre à un plus large public de comprendre comment ce problème est ressenti, comment des vies sont affectées négativement et ce que la collaboration permet lorsqu’il s’agit de lutter contre ces violences.
Le projet Equals Now Kickoff s’était fixé trois objectifs pour ce travail destiné à bousculer l’ordre établi. Le premier objectif était de mettre en place une plateforme pour les femmes qui ont subi des cyberviolences sexistes. Elles ont créé un docu-série en cinq épisodes sur YouTube relatant le vécu de six femmes gambiennes qui ont dû faire face à des violences en ligne. Parmi les six femmes interviewées pour la docu-série, on retrouve des militantes/féministes, une victime du régime de Jammeh, deux victimes de Melville Robertson Roberts, et une politicienne active qui est actuellement mairesse de Banjul. Pour la première fois, ces femmes ont eu l’occasion de parler des violences qu’elles ont subies et comment elles ont affecté leurs vies. Chacun de ces épisodes s’est penché sur un élément en particulier de la cyberviolence genrée :
- Épisode 1 : Cyberharcèlement des militantes en Gambie
- Épisode 2 : Cyberharcèlement d’une victime du régime de Jammeh
- Épisode 3 : Injures en ligne à l’encontre de la première femme mairesse en Gambie
- Épisode 4 : Citation inexacte et injures à l’encontre d’une journaliste gambienne
- Épisode 5 : Être féministe et militante en ligne en Gambie
Le deuxième objectif était de lancer et de mettre en place des programmes accordant une place plus importante à la cyberviolence genrée dans le cadre des discours qui sont tenus à échelle nationale concernant les violences basées sur le genre (VBG). Après la mise en ligne des vidéos, Equals Now a eu accès à un entretien sur la chaine de télévision nationale. Ceci leur a permis d’aborder la question des violences de genre en ligne en tant que « nouvelle » forme de violence envers les femmes. Elles sont également sur le point de mettre en place un projet de formation sur le harcèlement sexuel, incluant un module sur cyberviolences genrées spécifiquement, destiné aux petites entreprises qui utilisent la technologie et les réseaux sociaux pour offrir leurs services ou interagir avec leur clientèle. Le troisième objectif était de produire du contenu accessible sur ces sujets, elles ont donc conçu 10 infographies qui ont été diffusées via les réseaux sociaux et imprimées pour être distribuées lors de leurs événements au sein de la communauté et des organisations féministes.
Equals Now a parlé de l’importance des efforts collectifs à mettre en œuvre afin de réduire les niveaux de VBG dans le pays. Il incombe à la fois aux acteurs nationaux et à la population gambienne de mettre en place des mesures qui incluent une éducation sexuelle complète dans les programmes scolaires, l’enseignement aux enfants de l’utilisation d’internet, le renforcement des plaidoyers féministes et des droits des femmes, et la création de politiques de cyberharcèlement qui retracent et signalent les abus en ligne. Afin d’étendre leur travail, un réseau de solidarité intergénérationnel d’organisations dirigées par des femmes, de membres des communautés LGBTQIA+, de la diaspora, de militantes féministes et des droits des femmes a également été créé afin de rassembler les voix existant dans tout le pays.
Ce réseau de solidarité était le public tout désigné pour la formation virtuelle de trois jours d’Equals Now sur la sécurité en ligne, la vie privée, les droits numériques, les cyberviolences genrées, la documentation, et les campagnes de soutien et de mobilisation à la fois hors ligne et en ligne. Lors de cette formation, les échanges ont porté sur les lois et les politiques régissant la VBG en Gambie ainsi que leurs lacunes, et sur ce que le gouvernement doit faire pour s’assurer que les lois sont appliquées. Il fut question des principes féministes et de la façon dont internet est utilisé pour perpétuer la violence à l’égard des femmes, en présence de l’avocate et féministe kényane Nancy Houston, qui s’est adressée aux participantes pour leur parler de la campagne TOTALSHUTDOWNKE. Les soins collectifs et personnels ont également été abordés dans cette formation, avec la professionnelle des traumatismes psychosociaux Ngaima Sesay qui a parlé des techniques avec les participantes. Avec l’écrivaine féministe et professionnelle de la communication Jama Jack, tout le monde a été sensibilisé à l’importance de documenter.
Leur espoir en effectuant ce travail est de diffuser des histoires qui informent les gens sur la nature nocive de la cyberviolence sexiste. Leur objectif à long terme est de pouvoir faire pression pour obtenir des changements de politique via leur Réseau de solidarité anti-VBG. Cette plateforme vise à créer un internet féministe qui permet aux femmes gambiennes de s’exprimer en toute sécurité, qu’elles soient militantes, politiciennes, handicapées ou victimes de toute forme de cyberviolence.
L’équipe a dû faire face à des réactions violentes de la part d’agresseurs qui ont été expressément nommés dans leur série documentaire. Le 30 septembre, le 4e épisode avec Khadijah Bokum, journaliste et l’une des jeunes femmes derrière le hashtag #SurvivingMelville, a été publié en ligne. Dans cet épisode, Khadijah a parlé des abus qu’elle a subis en ligne, de la cyberviolence à laquelle elle a été confrontée et qui l’a mise en situation de danger et en détresse, et de l’échec du gouvernement à la protéger, elle et les autres femmes avec lesquelles elle travaillait. Elle a systématiquement fait l’objet de remises en question et a été mal citée par les médias et les internautes, la livrant davantage aux abus de l’agresseur présumé, Melville Roberts, ancien fonctionnaire et avocat en Gambie, et de ses fidèles en ligne.
Khadijah a également expliqué qu’elle a subi un degré supplémentaire de violence de la part de la société de médias avec laquelle elle travaillait à l’époque, qui a consacré un programme exclusif à ce sujet, mettant en vedette le récit de l’agresseur présumé. On lui avait demandé, à elle, de traiter ce sujet en le lisant, sans que le propriétaire de la chaine ne l’ait prévenue à l’avance. Khadijah nous fait part de son expérience :
« Imaginez quelqu’un qui vous a fait toutes ces choses, quelqu’un qui a violé vos amies et vous a harcelé. Et le média pour lequel vous travaillez, au lieu de vous soutenir pendant cette période, accorde un entretien à cette personne et lui offre une tribune. Et dans le feu de l’action, on vous demande de lire les actualités et vous devez lire ce sujet, que cela vous plaise ou non. Croyez-moi, cela m’a plongé dans la plus profonde des dépressions ».
À la suite du tollé déclenché par la vidéo, le propriétaire de la chaine a envoyé un tweet s’excusant pour son inconduite et a promis d’y remédier au sein de l’institution. Dans son tweet, il a dit :
« @KBokum ma fille, je n’avais pas réalisé l’impact que mon entretien avait eu sur toi. Il y a beaucoup de choses que je dois désapprendre. Je te présente mes excuses pour ce que tu as dû ressentir, la douleur et la trahison que tu as ressenties à la suite de mes actions. Merci @equals_now pour ce partage. »
Le travail effectué dans le cadre de ce projet est extrêmement difficile, en particulier lorsque les femmes qui racontent leur vécu sont confrontées aux conséquences qui viennent d’être évoquées ici. Toutefois, il y a également eu énormément d’effets positifs résultant de ce travail. Le projet a reçu une réponse extrêmement positive de la part des communautés dont les histoires étaient représentées dans la série documentaire. Grâce à l’amplification de leur travail via les réseaux sociaux, l’organisation a recueilli beaucoup de soutien, en particulier de la part de jeunes femmes qui ont évoqué des expériences similaires. Leurs publications sur Twitter et Facebook pour cette initiative ont atteint plus de 30 000 personnes chaque semaine. Voici quelques commentaires que nous avons relevés :
« C’est une initiative incroyable qui donne aux femmes gambiennes une plateforme pour montrer au monde à quel point nous sommes limitées et rabaissées, quelle que soit la profession... Cela montre aussi à quel point nous sommes courageuses, douées et talentueuses. Merci Equals Now !»
« Enfin l’occasion de regarder @NNJeng_ raconter son histoire sur les abus en ligne. Cela ne devrait jamais arriver ! Malheureusement, les médias gambiens n’ont pas été très justes envers les femmes au fil des ans. Ngoneh, merci d’avoir partagé @equals_now, c’est une super production. Bravo à vous ! »
Même si le travail est loin d’être terminé, leur projet a bousculé l’ordre établi en Gambie, marquant une prise de conscience élargie sur les cyberviolences genrées au sein de la communauté gambienne. L’organisation a commencé à réfléchir à des moyens de poursuivre ce travail via des engagements communautaires, en sensibilisant les gens à l’échelle nationale et en formant les jeunes femmes sur les principes féministes de l’internet ainsi que sur la façon de se défendre et de défendre d’autres femmes en ligne.
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