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Tshegofatso Senne

Image via les graphismes de Pollicy.

Traduction de l'image : « 28,2 % des femmes interrogées déclarent avoir été confrontées à une forme de cyberviolence. » , extrait tiré du rapport « Réalités alternatives et internets alternatifs :recherche afroféministe pour un internet féministe » (2020).

La recherche est un outil important qui peut être utilisé pour impliquer et redonner du pouvoir aux gens. Mais quand elle est difficile à comprendre ou inaccessible, il arrive qu’elle paraisse intimidante pour les gens qu’elle est censée rejoindre ou même aider. L’objectif que s’était fixé Pollicy était de faire tomber cette barrière et d’utiliser des moyens plus créatifs pour partager les données recueillies dans le cadre de leurs recherches.

Neema Iyer est la fondatrice et directrice générale de Pollicy, une organisation de technologie civique dont les activités sont à la croisée de la conception et de la technologie des données. Le travail de l’organisation s’articule autour de trois axes principaux. Le premier est le renforcement des capacités en matière de données. Iels organisent des formations pour essayer de préparer les gens aux nouvelles technologies émergentes, comme l’apprentissage automatique, l’intelligence artificielle (IA) et la visualisation des données. Le deuxième axe consiste à créer des produits de technologie des données en utilisant les données disponibles ou les données que l’organisation collecte pour aider les gens de différentes manières, par exemple en améliorant la prestation de services et la façon dont les gens accèdent aux informations. Le troisième et dernier axe est la recherche portant sur les écosystèmes de données qui se concentre sur des sujets tels que la gouvernance des données, les droits numériques et les libertés numériques.

« La violence basée sur le genre, dans le monde physique et en ligne, continue d’être une menace pour le bonheur, la stabilité et la croissance des femmes dans le monde entier », a déclaré Neema. « Les universitaires féministes soutiennent que lorsque l’on étudie la technologie et le genre, il est important de souligner que la technologie et le genre ne s’excluent pas mutuellement, mais sont « coproduits ». La technologie et les relations entre les hommes et les femmes n’existent pas en vase clos : la technologie est façonnée par l’environnement dans lequel elle existe ; elle remplit la fonction qu’elle remplit parce que les personnes l’ont construite de cette manière ; les structures sociales qui dictent les relations entre les genres régissent également la technologie. La technologie et le genre exercent activement une influence mutuelle. »

Avant d’être sélectionnée comme bénéficiaire de la subvention All Women Count-Take Back the Tech, Pollicy avait déjà réalisé un projet avec le Réseau de recherche sur l’internet féministe (FIRN) de l’Association pour le progrès des communications (APC). Cette recherche portait sur les expériences vécues par les femmes sur le continent africain et avait été menée dans 5 pays différents, soit l’Afrique du Sud, le Kenya, l’Ouganda, l’Éthiopie et le Sénégal. Pour Pollicy, si on souhaite commencer à parler d’IA féministe ou de ce à quoi ressemble un avenir numérique féministe, il faut d’abord comprendre d’où nous venons. Il faut connaître et documenter l’expérience des femmes actuellement et, une fois cela établi, il est plus facile de déterminer vers où nous voulons aller.

Au cours de leurs recherches, l’équipe de Pollicy a constaté que :

  • 28 % des femmes africaines ont été victimes de cyberviolence basée sur le genre.
    • 36 % de harcèlement sexuel,
    • 33,2 % d’injures offensantes,
    • 26,7 % de stalking et
    • 14,8 % d’humiliation délibérée.

Heureusement pour Pollicy, cette recherche a été effectuée en 2019, avant que la pandémie ne frappe. Cette subvention leur a donc permis de se concentrer sur la réalisation d’illustrations et de contenus artistiques. La pandémie mondiale a posé un défi à de nombreuses initiatives cette année, mais Pollicy a été conçue avec l’intention de fonctionner à distance, quelles que soient les circonstances. Elle a donc été moins touchée par les confinements dus à la pandémie en Ouganda. On peut dire aujourd’hui que, curieusement, le personnel de Pollicy était plutôt bien placé pour faire face à une telle calamité.

Une fois leurs recherches effectuées, Pollicy a senti qu’une autre phase était nécessaire. La nature du projet FIRN exige des recherches de qualité universitaire, mais l’équipe a souhaité rendre ses résultats accessibles aux personnes qui ne sont pas issues d’un milieu universitaire.

Leur projet a demandé des ressources supplémentaires pour réaliser une campagne de diffusion. L’équipe voulait trouver différents moyens de partager leurs données, car leur corpus de données est assez important. Des graphismes, des gifs animés et des infographies accessibles ont été créés pour attirer l’attention sur la cyberviolence basée sur le genre et présenter les résultats de recherche sous un format plus facile d’accès. Les données de Pollicy ont également été utilisées récemment dans le cadre d’un mémoire présenté par le groupe Feministing While Africa auprès du parlement sud-africain en réponse au projet d’amendement de la loi sur la violence domestique.

Pour chaque pays étudié, un résumé des résultats de recherche est présenté de façon claire et simple. Pollicy a élaboré un plan de communication sur les réseaux sociaux avec des partenaires clés, dans le cadre duquel 40 messages ont été publiés sur Facebook et Twitter. Ces derniers ont recueilli 330 450 impressions, plus de 10 000 engagements, 453 retweets et 617 likes sur Twitter. L’organisation ougandaise a également mené une campagne d’amplification de leurs messages afin de s’assurer que ces messages parviennent bien aux intéréssé·e·s. Cette opération a été réalisée avec une agence de relations publiques et le projet a bénéficié d’une importante couverture médiatique traditionnelle, comme des billets de blogs et des articles de journaux du monde entier, notamment Daily Monitor, Biztech Africa, The Independent et The Observer.

L’équipe a apprécié le fait qu’une communauté active s’est montrée fière de leur travail. Iels ont reçu beaucoup de bons commentaires, les gens les ont contacté·e·s pour leur dire qu’ils appréciaient la qualité de leur recherche et la campagne sur les réseaux sociaux. Neema a indiqué que des personnes utilisent le rapport dans le cadre de leurs propres recherches et qu’il profite à des personnes d’horizons divers. Pollicy aimerait que davantage de personnes demandent des données et des informations afin que des recherches similaires puissent être menées et que l’on dispose d’une base de référence plus importante pour faire un bilan et savoir où on en est et où on souhaite aller.

Neema explique qu’en général, et en particulier en Ouganda, les 16 jours d’activisme créent une forte mobilisation, et la cyberviolence y est un sujet constamment abordé. Le travail réalisé par d’autres bénéficiaires de subventions a également alimenté cet activisme. Elle est vraiment très heureuse qu’il existe des fonds disponibles pour faire ce genre de travail dans une optique différente et en faisant preuve de créativité. Pour la directrice de Pollicy, Take Back the Tech est un grand réseau et il est stimulant d’en faire partie et de voir ce que font les autres. Il est intéressant de voir quelles sont les possibilités qui s’offrent à Pollicy. Par exemple, l’organisation a déjà reçu des demandes pour effectuer des recherches dans d’autres pays d’Afrique et au Moyen-Orient.

C’est un travail formidable et bénéfique pour la communauté que Pollicy s’est engagée à faire en créant ce corpus de données. Leur plus grand souhait est qu’il soit accessible à tous et toutes et qu’il puisse servir aux communautés dans leurs propres actions de plaidoyer.

Concernant le travail que son équipe a pu accomplir dans le cadre de ce projet, Neema explique :

« Cette subvention nous a permis d’utiliser l’art comme une forme d’amour et de compréhension pour rendre nos données et nos informations plus accessibles aux communautés avec lesquelles nous travaillons. Nous souhaitions qu’un public aussi large que possible puisse interagir avec nos résultats, utiliser les données lors de présentations aux gouvernements, aux entreprises technologiques, pour alimenter leurs propres campagnes de sensibilisation dans leur pays. Nous avons remarqué que nos recherches ont été citées à de nombreuses reprises dans le cadre de travaux sur la violence sexiste en ligne et cela nous donne le sentiment d’avoir atteint nos objectifs en collectant nos propres données, en partageant nos propres expériences et en continuant à avoir recours à des preuves pour défendre nos propres droits, besoins et souhaits dans les espaces numériques. Nous devons rêver notre propre internet féministe africain et décider de ce à quoi il doit ressembler. »